Tous les sondages prévoyaient au moins une forte avance dimanche 14 mai, voire une victoire au premier tour, face à Recep Tayyip Erdoğan usé par 21 ans de pouvoir, empêtré dans une grave crise économique et critiqué pour sa gestion calamiteuse des deux tremblements de terre qui ont frappé la Turquie en février 2023.
Le matin des élections à Diyarbakir, la capitale de la région kurde de Turquie, tous les passants étaient enthousiastes. Zelia, 56 ans nous a dit : « Bien sûr qu’on va gagner ! On en a marre d’Erdoğan, on veut la liberté pour nos prisonniers et pour nous, personne ne votera pour Erdoğan ici ! Tous les jeunes veulent qu’il parte » . Un peu plus loin, des jeunes agitent le drapeau de Yesil sol, le Nouveau parti vert, créé suite aux menaces de dissolution du HDP. Ils ont 20 ans et n’ont connu Erdoğan que comme président.
Sur le trottoir d’en face, Hadi Abdou Khader, 73 ans, prend le thé avec ses amis sous le soleil. « Il n’y avait pas d’autre choix pour les Kurdes aux élections présidentielles que de voter pour Kemal Kilçdaroglu. Si j’avais eu un autre choix, je l’aurais fait. Les Kurdes commencent à être opprimés dès leur naissance. Et bien d’autres témoignages spontanés, affirmant leur confiance dans la chute du tyran.
Mais le soir, dans les locaux bondés de militants du HDP, devenus les locaux de Yesil sol, lorsque les premières estimations commencent à apparaître à l’écran, des visages proches. Erdoğan a une large avance, et même si les résultats des grandes villes favorables au CHP, comme Istanbul, Ankara ou Izmir, ne sont pas encore connus, l’espoir d’une défaite d’Erdoğan au premier tour s’effondre. Dans les bureaux du CHP, à partir de 22h, les militants ne croient plus à la victoire et désertent ce qu’ils croyaient être la nuit de la victoire.
A minuit, devant le tribunal sous haute protection policière, les ballots de bulletins continuent d’affluer pour des recomptages interminables, mais pour les jeunes du HDP rassemblés derrière les grilles, le cœur n’y est plus. « S’il est réélu, nous partons ! En Europe, n’importe où ! Nous n’en pouvons plus ! »
Alors comment expliquer ce revirement de dernière minute par rapport aux nombreux sondages ? Certains pensent que c’est l’entente avec les Kurdes qui a démotivé une partie de l’électorat du CHP, d’autres que c’est la religion de Kemal Kiliçdaroglu, un alévi, qui a rebuté l’électorat majoritairement sunnite, ou encore d’autres évoquent fraudes et manipulations.
Il est vrai qu’Erdoğan détient tous les pouvoirs, de la commission électorale à l’appareil de l’État, en passant par les juges et le Parlement, mais une fraude à l’échelle de plusieurs millions de voix semble invraisemblable. Une possible manipulation serait cependant d’invalider délibérément suffisamment de votes pour provoquer un second tour. L’AKP dispose d’une importante réserve de voix avec les 5,3% des suffrages exprimés pour Sinan Ogan, un ultra-nationaliste qui prône l’expulsion de tous les réfugiés syriens, et un second tour dans lequel il triompherait aurait l’avantage de faire taire les rumeurs de fraude et surtout de légitimer son élection aux yeux des Occidentaux qui l’avaient abandonné.
Quant au second tour, il offre vraiment peu d’espoir, même pour le leadership de Yesil Sol.
Serra Bucak, membre de la direction du parti, nous a dit lundi matin, au lendemain du premier tour : « Nous savions que ce n’était pas une élection facile. Nous savions que ce serait difficile pour le premier tour mais nous ne l’avons pas fait. Je ne sais pas qu’Erdoğan obtiendrait autant de voix, surtout dans les zones sismiques. J’espère que le CHP utilisera bien ces 2 semaines, ils devront trouver de nouvelles stratégies, non pas pour la région kurde qui lui est gagnée, mais pour la reste de la Turquie. »
15 mai 2022
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